Le bonheur



Bonheur

Texte 1 « Tous les hommes recherchent d'être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n'y vont  pas est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté [ne] fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui vont se pendre »
                                                                                                                                       PASCAL, Pensées, 149-425


1.       Le bonheur comme somme de plaisirs. Point de vue hédoniste.

1.1   Plaisirs en mouvement : les jouissances de la vie
Cf . Calliclès
Texte 2
« CALLICLÈS. — […] si on veut vivre comme il faut, on doit laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, et ne pas les réprimer. Au contraire, il faut être capable de mettre son courage et son intelligence au service de si grandes passions et de les assouvir avec tout ce qu’elles peuvent désirer. Seulement, tout le monde n’est pas capable, j’imagine, de vivre comme cela. C’est pourquoi la masse des gens blâme les hommes qui vivent ainsi, gênée qu’elle est de devoir dissimuler sa propre incapacité à le faire. La masse déclare donc bien haut que le dérèglement — j’en ai déjà parlé — est une vilaine chose. C’est ainsi qu’elle réduit à l’état d’esclave les hommes dotés d’une plus forte nature que celle des hommes de la masse ; et ces derniers, qui sont eux-mêmes incapables de se procurer les plaisirs qui les combleraient, font la louange de la tempérance et de la justice à cause du manque de courage de leur âme. Car, bien sûr, pour tous les hommes qui, dès le départ, se trouvent dans la situation d’exercer le pouvoir, qu’ils soient nés !ls de rois ou que la force de leur nature les ait rendus capables de s’emparer du pouvoir […], oui, pour ces hommes-là, qu’est-ce qui serait plus vilain et plus mauvais que la tempérance et la justice ? Ce sont des hommes qui peuvent jouir de leurs biens, sans que personne y fasse obstacle, et ils se mettraient eux-mêmes un maître sur le dos, en supportant les lois, les formules et les blâmes de la masse des hommes ! […] Écoute Socrate, tu prétends que tu poursuis la vérité, eh bien,
voici la vérité : si la facilité de la vie, le dérèglement, la liberté de faire ce qu’on veut, demeurent dans l’impunité, ils font la vertu et le bonheur ! Tout le reste, ce ne sont que des manières, des conventions, faites par les hommes, à l’encontre de la nature. Rien que des paroles en l’air, qui ne valent rien ! »
                                                                                            PLATON, Gorgias, 491e–492c, éd. GF

1.2   Critique du plaisir

121. Aliénation au plaisir
Objection de Platon du tonneau percé.
Texte 3  Critique de lq pub

122  Le plaisir n’existe pas           Texte de Schopenhauer
« Nous ne remarquons pas la santé générale du corps, mais seulement le point léger ou le soulier nous blesse »
Nous sentons la douleur, mais non l’absence de douleurs, les soucis mais non l’absence de soucis, etc. Nous ne remarquons les jours heureux de notre vie  qu’après qu’ils aient fait place à des jours de douleurs.

Pour la satisfaction et la jouissance, nous ne pouvons les connaître qu'indirectement : il nous faut faire appel au souvenir de la souffrance, de la privation passées, qu'elles ont chassées tout d'abord. Voilà pourquoi les biens, les avantages qui sont actuellement en notre possession, nous n'en avons pas une vraie conscience, nous ne les apprécions pas , il nous semble qu'il n'en pouvait être autrement , et en effet, tout le bonheur qu'ils nous donnent, c'est d'écarter de nous certaines souffrances. Il faut les perdre, pour en sentir le prix , le manque, la privation, la douleur, voilà la chose positive, et qui sans intermédiaire s'offre à nous. »
Schopenhauer, Monde comme volonté et représentation

Solution à cette critique : Philosophie hédoniste mais ascétique. Nécessité d’une discipline des désirs.
Epicurisme         
Hiérarchie des désirs. Priorité au plaisir en repos,  c’est le plaisir de la sérénité,  de l’absence de trouble, de douleur. Recherche non pas de l’excitation mais du calme. Ataraxie
Plaisirs de l’âme  seconds car ce sont des souvenirs ou anticipation de plaisirs corporels, physiques :rendent possible l’ataraxie sous la torture.

                                                                     
 Stoïcisme
Distinction d’Epictète. Seules nos représentations dépendent vraiment de nous. Travail sur notre jugement pour le conformer à la réalité. « Amor fati » disait Marc-Aurèle. Non pas refuser la vie des affects (pas de projet de se transformer en statue) mais refuser de s’y abandonner : de se lamenter de sa douleur ou de se réjouir  excessivement de ses joies. Conserver une distance par rapport à soi permettant maitrise et sérénité. Les hommes sans vertu, sans ressources intérieures, sont sans cesse ballotés par les évènements.



123  La machine à expérience. Les plaisirs indignes. Scandale du mal
texte 4
«. Supposez qu'il existe une machine à expérience qui soit en mesure de vous faire vivre n'importe quelle expérience que vous souhaitez. Des neuropsychologues excellant dans la duperie pourraient stimuler votre cerveau de
telle sorte que vous croiriez et sentiriez que vous êtes en train d'écrire un grand roman, de vous lier d'amitié, ou de lire un livre intéressant. Tout ce temps-là, vous seriez en train de flotter dans un réservoir, des électrodes fixées à votre crâne. Faudrait-il que vous branchiez cette machine à vie, établissant d'avance un programme des expériences de votre existence ? Si vous craignez de manquer quelque expérience désirable, on peut supposer que des entreprises commerciales ont fait des recherches approfondies sur la vie de nombreuses personnes. Vous pouvez faire votre choix dans leur grande bibliothèque ou dans leur menu d'expériences, choisissant les expériences de votre vie pour les deux ans à venir par exemple. Après l'écoulement de ces deux années, vous aurez dix minutes, ou dix heures, en dehors du réservoir pour choisir les expériences de vos deux prochaines années. Bien sûr, une fois dans le réservoir vous ne saurez pas que vous y êtes ; vous penserez que tout arrive véritablement. […] Vous brancheriez-vous ? »
Robert NOZICK, Anarchie, État et utopie, éd. PUF, p.64


Il est probable que dans l’hypothèse ou une connaissance de la situation est maintenue, nous ne nous brancherions pas car nous saurions alors le caractère superficiel de ces plaisirs. Cela suffit à montrer que les plaisirs à eux seuls ne sont pas recherchés comme expression du bonheur. Ce qui est recherché ce sont des plaisirs ayant une valeur, c'est-à-dire reflétant un idéal dont on se rapproche : ex : réalisation de soi, vérité, moralité, etc.

Rq . Une autre objection à la réduction du bonheur au plaisir est celle dont témoigne figure de l’ascète (vie heureuse de privation) ou de l’idéaliste (qui bien que vivant des plaisirs place son bonheur dans la réalisation future de son idéal)

Kant a bien perçu ce fait que la vie morale (axé sur la poursuite des valeurs) n’est pas immédiatement une vie de plaisirs. Au contraire elle impose des renoncements , des efforts.  Mais elle nous rend digne du bonheur c'est-à-dire en droit d’espérer une rétribution de nos actions. Le scandale du plaisir c’est de voir qu’il peut être immorale, égoïste. C’est une sorte de bonheur indigne bref une absence de bonheur véritable, un bonheur apparent.

2.       Le bonheur comme joie c'est-à-dire satisfaction ayant une valeur

2.1 Alain   Travail, puissance et bonheur

Le touriste qui se fait transporter au sommet d’une montagne éprouve un plaisir : paysage, fraicheur de l’air, etc.
L’alpiniste qui y parvient, après des années d’entrainements et d’efforts, n’a pas le même plaisir mais à un degré plus grand. On voit mal d’ailleurs pourquoi son plaisir serait plus vif. Il a un plaisir de nature différente, un bonheur, une satisfaction à jouir de ce qu’il est parvenu à réaliser. Le bonheur est travail car il est dépassement de ce qui est donné.
Bonheur en ménage est un travail. Malheur du donjuanisme. Le véritable amour est voulu non subi.  L’amour ne se reçoit pas comme la pluie ou la grêle, il faut le porter par sa volonté.
« Le bonheur est une récompense qui vient à ceux qui ne l’ont pas recherché ». En effet il faut beaucoup de volonté pour accéder au bonheur mais celle-ci ne doit pas prendre le bonheur comme objectif immédiat car alors les difficultés se montrant d’abord, l’homme passe à coté d’un bonheur qu’il  pourrait se faire pour un plaisir immédiat mais sans lendemain.  Il y q beaucoup de vouloir dans nos joies mais il faut une sorte de dédain du bonheur pour y accéder.

Texte 5
« Tous ces coureurs se donnent bien de la peine. Tous ces joueurs de ballon se donnent bien de la peine. Tous ces boxeurs se donnent bien de la peine. On lit partout que les hommes cherchent le plaisir ; mais cela n'est pas évident ; il semble plutôt qu'ils cherchent la peine et qu'ils aiment la peine. Le vieux Diogène disait : « Ce qu'il y a de meilleur c'est la peine. » On dira là-dessus qu'ils trouvent tous leur plaisir dans cette peine qu'ils cherchent ; mais c'est jouer sur les mots ; c'est bonheur et non plaisir qu'il faudrait dire ; et ce sont deux choses très différentes, aussi différentes que l'esclavage et la liberté. On veut agir, on ne veut pas subir. Tous ces hommes qui se donnent tant de peine n'aiment sans doute pas le travail forcé ; personne n'aime le travail forcé ; personne n'aime les maux qui tombent ; personne n'aime sentir la nécessité. Mais aussitôt que je me donne librement de la peine, me voilà content. […] Le boxeur n'aime pas les coups qui viennent le trouver ; mais il aime ceux qu'il va chercher. Il n'est rien de si agréable qu'une victoire difficile, dès que le combat dépend de nous. Dans le fond, on n'aime que la puissance. Par les monstres qu'il cherchait et qu'il écrasait, Hercule se prouvait à lui-même sa puissance. Mais dès qu'il fut amoureux, il sentit son propre esclavage et la puissance du plaisir ; tous les hommes sont ainsi ; et c'est pourquoi le plaisir les rend tristes. L'avare se prive de beaucoup de plaisirs, et il se fait un bonheur vif, d'abord en triomphant des plaisirs, et aussi en accumulant de la puissance ; mais il veut la devoir à lui-même. Celui qui devient riche par héritage est un avare triste, s'il est avare ; car tout bonheur est poésie essentiellement, et poésie veut dire action ; l'on n'aime guère un bonheur qui vous tombe ; on veut l'avoir fait. L'enfant se moque de nos jardins, et il se fait un beau jardin, avec des tas de sable et des brins de paille. Imaginez-vous un collectionneur qui n'aurait pas fait sa collection ? »
                                           ALAIN, Propos sur le bonheur, XLII, « Agir », 3 avril 1911




2.2 Texte de Bergson
texte 6
"Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l’homme n’ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n’est qu’un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l’être vivant la conservation de la vie ; il n’indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie. La mère qui regarde son enfant est joyeuse, parce qu’elle a conscience de l’avoir créé, physiquement et moralement. Le commerçant qui développe ses affaires, le chef d’usine qui voit prospérer son industrie, est-il joyeux en raison de l’argent qu’il gagne et de la notoriété qu’il acquiert ? Richesse et considération entrent évidemment pour beaucoup dans la satisfaction qu’il ressent, mais elles lui apportent des plaisirs plutôt que de la joie, et ce qu’il goûte de joie vraie est le sentiment d’avoir monté une entreprise qui marche, d’avoir appelé quelque chose à la vie. Prenez des joies exceptionnelles, celle de l’artiste qui a réalisé sa pensée, celle du savant qui a découvert ou inventé. Vous entendrez dire que ces hommes travaillent pour la gloire et qu’ils tirent leurs joies les plus vives de l’admiration qu’ils inspirent. Erreur profonde ! On tient à l’éloge et aux honneurs dans l’exacte mesure où l’on n’est pas sûr d’avoir réussi. […] Mais celui qui est sûr, absolument sûr, d'avoir produit une œuvre viable et durable, celui-là n'a plus que faire de l'éloge et se sent au-dessus de la gloire, parce qu'il est créateur, parce qu'il le sait, et parce que la joie qu'il éprouve est une joie divine."                                       (Henri Bergson, L'Energie spirituelle, éd. Alcan, p. 24-25)




2.3 Risque d’oppression par le  système des valeurs sociale

La société pense pour nous l’idéal du bonheur. Cela signifie que si l’on s’en tient à cette conception à la fois idéologique et matérialiste du bonheur, il y a de grandes chances pour que nous ayons tous le même idéal du bonheur !
C’est au moment où nous sommes le plus influencés par un modèle du bonheur – modèle matérialiste – que nous sommes, et que nous nous déclarons le plus individualiste ! Paradoxalement la société de consommation pousse à l’individualisme, mais elle nous y pousse tous ensemble, à la manière d’un troupeau (comme dirait Nietzsche). C'est au moment où le désir de singularité est le plus fort que l'uniformisation sociale est portée également à son comble. Chacun veut vivre sa vie et concevoir le bonheur à sa manière propre au moment même où tout le monde précisément rêve à peu près de la même chose (parce que nous rêvons via la "matrice" capitaliste qui nous fait rêver, qui veille sur nos rêves en quelque sorte !). Cet individualisme là n'est pas spécialement ce qu'on appelle l'autonomie.

Critique de la société de consommation. Les choses de Georges Perec
Philosophie d IKEA


 Possibilité de partie sur la joie chez Spinoza




Conclusion :
« Le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’à tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du concept de bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c’est-à-dire qu’ils doivent être empruntés à l’expérience ; et que cependant pour l’idée de bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. » Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs.



            Kant définit le bonheur comme « la satisfaction de toutes nos inclinations tant en extension, c’est-à-dire en multiplicité, qu’en intensité, c’est-à-dire en degré, et en protension, c’est-à-dire en durée ». Un tel bonheur, selon lui, est un idéal de l’imagination en ce que la satisfaction complète ne peut être réalisée. Mais il n’en demeure pas moins que c’est la raison pratique elle-même qui est conduite à postuler la possibilité d’un tel bonheur ; nous ne pouvons y renoncer. Kant précise qu’il ne faut pas confondre, comme le font toutes les théories eudémonistes, le souverain bien et le bonheur. Le bonheur dépend de la satisfaction de nos penchants, pour la plupart égoïste ; il est déterminé par des motifs empiriques et est réfractaire à toute universalisation. Au contraire, le souverain bien relève de la conduite morale qui est déterminée par la loi purement rationnelle (non sensible) et qui satisfait le principe d’universalisation de la maxime (règle) de l’action. La conduite morale relève de l’impératif catégorique, la recherche du bonheur de l’impératif pragmatique. Le souverain bien n’est pas quelque chose que l’on possède ou dont on fait l’expérience (ce qui serait le signe de son empiricité) ; ce n’est pas un état mental. Si le bonheur ne saurait être conçu comme une récompense, il y a néanmoins une relation entre la vertu et le bonheur. La vertu ne produit pas « matériellement » le bonheur mais en fait une conséquence mérité ; la vertu nous apprend à « nous rendre dignes du bonheur ». Nous pouvons donc accéder au bonheur à condition de ne pas le rechercher pour lui-même et d’obéir bien plutôt à la loi universelle de la raison.

Une autre façon de rapprocher morale et bonheur c’est de montrer que le bien c’est en fait le bon et que derrière les préceptes moraux il y a une sagesse, c'est-à-dire des préceptes de bonheur. Ce rapprochement est tout à fait possible car on voit bien que le bonheur est un plaisir digne, riche de valeurs.